Immigration aux États-Unis : Travel Ban ou Visa Ban?
Des restrictions de voyage malavisées mettent en jeu l’économie américaine, les entreprises et les investisseurs étrangers.
Isabelle MARCUS, PDG
Clara BERGNIER, Responsable des affaires juridiques
Le 24 février 2021, le président Biden a publié une proclamation sur la révocation de la proclamation présidentielle de Donald Trump PP 10014. La PP 10014 de M. Trump avait suspendu l’entrée de certains demandeurs de visas immigrants aux États-Unis. Dans sa propre proclamation présidentielle, le président Biden a déclaré que la PP 10014 ne fait pas avancer les intérêts des États-Unis mais plutôt qu’elle y nuit, en empêchant l’unification des familles de certains citoyens américains et résidents.[1]
Le président Biden déclare en outre : « Cela nuit également aux industries des États-Unis qui utilisent des talents du monde entier. Et cela nuit aux personnes qui ont été sélectionnées pour avoir la possibilité de demander, et à celles qui ont également reçu, des visas immigrants dans le cadre de la loterie des visas de diversité de l’année fiscale 2020. La proclamation 10014 a empêché ces personnes d’entrer aux États-Unis, ce qui a entraîné, dans certains cas, un retard et une éventuelle déchéance de leur chance de recevoir des visas de diversité pour l’année fiscale 2020 et de réaliser leurs rêves aux États-Unis ».[2]
Tout en apportant un soulagement à certains immigrants et à leurs familles, la proclamation du président Biden poursuit la suspension de l’entrée de certains non-immigrants (H-1B, H-2B, L-1 et certains demandeurs de visa J-1).
En outre, les demandeurs de visa non-immigrant (non seulement H-1B, H-2B, L-1 et certains demandeurs de visa J-1, mais aussi les demandeurs de visa E ou O par exemple) sont toujours soumis au « travel ban », une restriction d’immigration concernant la possibilité de voyager et venant de la proclamation présidentielle PP 10143 de M. Trump. Cette dernière interdit l’entrée des voyageurs de l’espace Schengen, du Royaume-Uni et d’Irlande — incluant ceux qui ont un emploi aux États-Unis. Vers la fin de son mandat, M. Trump avait levé ce travel ban, mais M. Biden l’a remis en place (ajoutant le Brésil et l’Afrique du Sud à la liste des pays concernés).[3] En théorie réinstauré pour assurer la santé et la sécurité des États-Unis, le travel ban empêche en réalité : (i) d’innombrables investisseurs, entrepreneurs, exécutifs et employés clés d’obtenir un visa pour entrer aux États-Unis afin de reprendre ou de commencer leurs missions critiques sur le territoire américain ; (ii) de nombreuses entreprises américaines d’« utilis[er] des talents du monde entier ».[4] La proclamation de M. Biden ne fait que promouvoir les intérêts des États-Unis de manière limitée. Cela délaisse de nombreux non-immigrants — même ceux dont le travail les attend aux États-Unis — bloqués à l’étranger et laisse leurs familles séparées et isolées aux États-Unis.
Par conséquent, la suspension de l’entrée de certains non-immigrants nuit également au pays. Le sort de nombreux demandeurs de visa non-immigrant reste inconnu, et le sort d’innombrables entreprises américaines ayant un besoin urgent de ces demandeurs de visa non-immigrant qualifiés est en jeu.
En pratique, les consulats américains à l’étranger ont utilisé le travel ban pour cesser de délivrer des visas non-immigrants. Les demandeurs de tels visas ayant une extraordinary ability (avec des visas O) et certains traders ou investors (avec des visas E-1 ou E-2) jusqu’à récemment pouvaient demander une exemption au travel ban en faisant une demande de « National Interest Exception » (ou NIE) auprès d’un consulat américain à l’étranger. Ces dérogations ont toujours été difficiles à obtenir, mais au moins certains candidats se les sont vus octroyées. La plupart de ces candidats ont vu leurs espoirs d’obtenir un visa anéanti lorsque le gouvernement américain a récemment rendu l’obtention de cette NIE encore plus difficile.
Le département d’État (qui contrôle les consulats américains à l’étranger qui délivrent les visas) a annoncé le 3 mars 2021 que « les catégories de voyages qui sont dans l’intérêt national, aux fins des exceptions à la Proclamation présidentielle (PP) 10143 couvrant l’espace Schengen, le Royaume-Uni et l’Irlande ont été affinées et sont devenues plus limitées ». Les consulats américains déclarent désormais que l’éligibilité à un visa E dépend de l’éligibilité du demandeur à une NIE.[5] L’admissibilité à une NIE, à son tour, dépend en grande partie de l’industrie dans laquelle un candidat est impliqué. Cela tend à favoriser l’embauche / le maintien en poste de certains employés par rapport à d’autres et, étant donné la nature des industries citées dans cette annonce officielle, semble profiter davantage aux grandes multinationales qu’aux petits entrepreneurs.
Ces pratiques concernant la délivrance de visas ainsi que le travel ban ne constituent pas une mesure de sécurité dans le contexte des conditions sanitaires des États-Unis. Elles empêchent les investisseurs, les entrepreneurs, les exécutifs et les employés clés de reprendre ou de commencer leurs activités professionnelles aux États-Unis et de « réaliser leurs rêves aux États-Unis », comme l’a si éloquemment déclaré le président Biden dans sa proclamation du 24 février 2021.[6]
Le gouvernement américain encourage les investisseurs étrangers à développer des entreprises aux États-Unis, ce qui se traduit par de nouveaux investissements, l’embauche de travailleurs américains et le paiement d’impôts.
Cependant, lorsque le gouvernement américain refuse de délivrer des visas en établissant une exigence d’intérêt national que de nombreux entrepreneurs ne peuvent tout simplement pas satisfaire parce qu’ils ne travaillent pas dans le « bon » secteur, nous pouvons nous demander quel est le bien-fondé de ces interdictions de visas et de voyage. Il semble désormais normal qu’un investisseur étranger investisse une ou des centaine(s) de milliers de dollars dans une nouvelle ou petite entreprise (Tech, fashion retail…) et recrute des employés américains, mais qu’il devrait ensuite se voir refuser un visa parce que cet investisseur ne peut pas satisfaire à l’exigence des critères pour obtenir une NIE.
Notons également que, dans les nouveaux critères restrictifs d’éligibilité à une NIE, il est mentionné que le soutien direct à la création ou au maintien d’emplois aux États-Unis est une exception au travel ban qui devrait être « très rare et les critères très stricts ». Cela met étonnamment et directement en péril l’emploi aux États-Unis.
De nombreux économistes américains disent que les petites entreprises sont le moteur de l’économie américaine. Nous devons en conclure que cette politique de visas, qui affecte de manière disproportionnée les entrepreneurs de petites entreprises, est malavisée. Cette politique est préjudiciable non seulement à l’économie américaine actuelle, mais également à la politique d’immigration et aux affaires étrangères des États-Unis. Alors que le travel ban est déclaré être en place pour empêcher la propagation du Covid-19, il semble avoir toutes les caractéristiques du protectionnisme économique. Cela pourrait conduire les investisseurs étrangers à se demander si les États-Unis sont un endroit sûr pour investir. De nombreux travailleurs étrangers talentueux pourraient également tourner leur dos aux États-Unis si leur moyen de subsistance semble pouvoir leur être enlevé aussi facilement à travers de telles mesures restreignant, et même bloquant, l’obtention de visas, mesures sans fondement rationnel en matière de santé publique.
La santé et la sécurité de ses citoyens sont une préoccupation majeure du gouvernement des États-Unis en cette période de pandémie. Exiger des résultats négatifs au test Covid-19 des visiteurs aux États-Unis et des quarantaines obligatoires à l’entrée aux États-Unis sont des mesures nécessaires, et leur mise en œuvre doit être respectée.
Cependant, les pratiques actuelles de refus de visas dans les consulats américains à l’étranger ne favorisent pas cette préoccupation pour la santé et la sécurité. Nombreux consulats américains ont même décidé de refuser la délivrance de visas alors que ces visas sont déjà approuvés. Le refus de délivrer des visas non-immigrants à d’innombrables éligibles investisseurs, entrepreneurs, exécutifs et employés clés aux États-Unis ne sert aucun objectif rationnel pour des raisons de santé publique. Ces demandeurs devront à juste titre tenir compte des mesures de sécurité mises en œuvre (par exemple, résultat de test Covid-19 négatif, mise en quarantaine obligatoire, test Covid-19 obligatoire suivant un certain nombre de jours après l’entrée sur le territoire américain, mise en quarantaine dans un pays non soumis à au travel ban avant d’entrer sur le territoire américain). Rien ne permet de penser que ces entrepreneurs et investisseurs sont enclins à enfreindre les règles mises en œuvre pour empêcher la propagation du Covid-19. Si ces entrepreneurs et investisseurs doivent se rendre aux Etats Unis afin de superviser leur investissement et leurs employés, suite à la délivrance de leur visa, ceux-ci n’ont d’autre alternative que de respecter les règles sanitaires en place.
Le refus de délivrer des visas à ces catégories de non-immigrants semble n’avoir aucun lien avec la protection de la santé et de la sécurité des citoyens américains. C’est au contraire une pratique qui nuit à l’économie et aux entreprises du pays.
[2] Id.
[4] Id.
[5] Lequel s’inscrit dans le cadre d’un traité bilatéral de commerce et de navigation entre les Etats-Unis et les treaty countries concernés, dont la France.